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Quand la biologie inspire l’astronomie

Véritable innovation dans l’étude des sursauts gamma, le concentrateur à galette de micro-canaux de MXT est un système qui s’inspire de la biologie. Les crustacés de l’ordre des décapodes, comme le homard, la langouste ou le crabe, possèdent en effet un type de vision tout à fait particulier. Si en règle générale la vision se base généralement sur la réfraction, celle des décapodes utilise la réflexion optique. La lumière est dirigée par une quantité de petits canaux qui tapissent les yeux des décapodes : une structure en nid d’abeille, à ceci près que la forme des tubes n’est pas hexagonale mais carrée. Un rayon lumineux peut “rebondir” sur la paroi du canal : il est réfléchi. In fine, tous les rayons sont concentrés en un seul point central.

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Fort grossissement d’un œil de crustacé. On distingue les fines cellules à section carrée qui recouvrent entièrement la structure, capturant chacune des rayons lumineux à des angles différents. Crédits : Nasa

 

Le bénéfice de cette méthode est d’avoir un grand angle de vision. Ces yeux particuliers peuvent ainsi avoir un champ de vue ouvert pratiquement à 180°. Cette adaptation est un avantage pour les animaux vivant en profondeur ou dans des milieux troubles, avec peu de lumière. Il faut réussir à collecter le maximum de rayons lumineux afin de repérer plus rapidement les prédateurs ou les sources de nourriture dans le milieu environnant.

Un outil adapté à l’étude des rayons X

En tentant d’y appliquer les principes d’optique, les scientifiques se sont rendu compte que ce type de vision n’est effectif que si la base des canaux est carrée. Phénomène curieux, c’est l’un des rares exemples de forme carrée naturelle en biologie. Idéale en cas de faible lumière, un fort éclairement est au contraire préjudiciable. Plus il y a de rayons, plus ceux-ci vont être réfléchis et causer une image bruitée sur le récepteur. Cette technique prévaut lorsque que le signal/bruit est faible, ce qui est le cas dans la gamme des rayons X. C’est à la fin des années 1970, à Paris, qu’eurent lieu les premières études tentant de réutiliser ce type de vision pour l’observation des rayons X.

Les rayonnements X possèdent la particularité d’être difficiles à réfléchir : la réflexion n’est possible qu’en cas d’incidence rasante. La technique des micro-canaux est donc tout à fait adaptée à ce type de photons car une structure radiale implique que la lumière ne fait qu’un petit angle par rapport à ces surfaces.

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Principe de fonctionnement d’une optique de type « Lobster Eye ». Source : http://inspirehep.net/record/1380586/plots

 

Pour assurer que la « fonction d’étalement du point » du télescope (point spread function ou PSF en anglais) soit suffisamment petite, il faut que la taille du carré élémentaire de l’optique soit petit mais supérieur à la longueur d’onde caractéristique des rayons lumineux, en l’occurrence ici les rayons X. Dans ce cas, le carré a une dimension caractéristique de l’ordre de quelques dizaines de microns de côté. Réaliser des microtubes réguliers de cette taille avec une structure métallique relève d’un exploit. Mais d’autres matériaux peuvent servir à la fabrication des tubes.

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La fonction d’étalement du point ou PSF décrit la répartition spatiale de l’intensité lumineuse d’un point source objet dans le plan image d’un système optique en l’occurrence ici un télescope. Plus elle est fine, plus la faculté de séparer deux objets voisins est améliorée. L’image ci-dessus décrit la PSF du télescope MXT obtenue par simulation numérique. Le motif en croix résulte du principe optique de ce télescope basé sur des éléments carrés.

 

Zoom sur les micro-canaux de verre. La section carrée est parfaitement régulière. Source : inspirehep.net
Zoom sur les micro-canaux de verre. La section carrée est parfaitement régulière. Source : inspirehep.net

 

Des microtubules faits de verre

L’entreprise Photonis, experte dans le travail du verre, a mis son expertise dans la détection optique au profit du projet SVOM.

Un bloc carré de verre est chauffé puis étiré grâce à un poids. L’étirement fait progressivement réduire la taille de la section. En répétant ce procédé, il devient possible d’obtenir des tubes réguliers à la taille de section souhaitée.

Pour obtenir la base creuse, il suffit d’utiliser non pas un mais deux types de verre durant ce procédé ; un verre externe et un verre interne de composition différente. Lorsque la taille de section de 20 microns est atteinte, il suffit de dissoudre chimiquement le verre interne. L’épaisseur du verre externe est alors de quelques microns. La grande difficulté de ce procédé est de ne pas tordre le verre pendant l’opération d’étirement.

Mais le travail ne s’arrête pas là ! Il faut ensuite réussir à assembler les micro-canaux entre eux. L’idée est alors de réunir différentes fibres ensemble, par paquet de 25, avant de les chauffer et les étirer, jusqu’à atteindre la taille de 20 microns par fibre. Ce paquet de fibres est alors coupé dans sa largeur, à 90°. On obtient ainsi une galette. La galette elle-même est ensuite chauffée pour la mettre en forme à l’aide d’une presse : on passe d’une surface plane à une surface courbe. La coupe de la galette et sa mise en forme sont deux processus très compliqués à réaliser. Le moindre défaut peut induire des détériorations de la réponse de l’instrument.
Pour augmenter la réflexivité aux rayons X, le verre plombé constituant les micro-canaux est plongé dans un bain d’iridium. En tout, six mois sont nécessaires pour réaliser les 21 galettes correspondant à l’optique complète, hors incident de production.

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Schéma des 21 galettes assemblées, constituées chacune de plus d’un million de micro-tubes de verre. Les différentes couleurs représentent les différentes épaisseurs des galettes, du bleu le plus fin au violet le plus épais. Source : inspirehep.net

 

Du concentré de technologie

Les contraintes liées à la charge utile de SVOM, à savoir le besoin de concevoir des instruments de petite taille et de masse réduite, ont favorisé l’intérêt pour ce type de technologie pour l’étude des rayons X. Ici, une optique complète, d’une vingtaine de centimètres de diamètre, faite à partir de micro-canaux, ne pèse que 1,8 kg. En comparaison, l’instrument SXT de SWIFT développé par la NASA a, pour une surface collectrice 3 fois plus importante, un poids d’optique de plusieurs dizaines de kg.

Malgré tout, cette technique suscite un véritable engouement pour de nombreuses missions spatiales à venir. SVOM, toute première mission satellitaire à utiliser ce type d’optique, sera ainsi observée de manière attentive. Des optiques similaires, mais à base de canaux en silicium, seront utilisées dans le cadre d’autres projets, comme ATHENA, le futur observatoire majeur à rayons X développé par l’ESA dont le lancement est prévu en 2028.

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